Europe et État de droit

Intervention par Jean-Éric Schoettl, conseiller d’État (h), secrétaire général du Conseil constitutionnel de 1997 à 2007, auteur de La démocratie au péril des prétoires (Gallimard, 2022), membre du conseil scientifique de la Fondation Res Publica, lors du séminaire "Europe, État de droit et souveraineté nationale" du lundi 15 mai 2023.

Intervention par Jean-Éric Schoettl, conseiller d’État (h), secrétaire général du Conseil constitutionnel de 1997 à 2007, auteur de La démocratie au péril des prétoires (Gallimard, 2022), membre du conseil scientifique de la Fondation Res Publica, lors du séminaire “Europe, État de droit et souveraineté nationale” du lundi 15 mai 2023.

Merci, Madame la présidente.

Dans Guerre et paix entre les Nations, paru en 1962, Raymond Aron explique qu’avec le Marché commun (comme on disait alors) « l’essence des souverainetés nationale n’est pas sérieusement affectée ».

De son côté, statuant le 30 décembre 1976 sur l’élection des eurodéputés au suffrage universel direct, le Conseil constitutionnel juge que ce mode d’élection « n’a pour effet de créer ni une souveraineté ni des institutions dont la nature serait incompatible avec le respect de la souveraineté nationale, non plus que de porter atteinte aux pouvoirs et attributions des institutions de la République et, notamment, du Parlement ».

Si la construction européenne n’avait encore affecté la souveraineté des États ni en 1962, ni en 1976, c’est parce que ceux-ci, explique Aron, conservaient encore l’essentiel de leurs attributs : « la compétence de leur compétence », « l’autorité suprême de légiférer », la « souveraineté constitutionnelle », « la capacité d’imposer le respect des lois ».

Or ce sont précisément ces attributs qui ont été altérés depuis une quarantaine d’années au fil des traités – de l’Acte unique de 1986 au traité de Lisbonne de 2007, en passant par les traités de Maastricht (1992) et d’Amsterdam (1997) -, comme en raison des jurisprudences « téléologiques » de la CJUE et des révisions constitutionnelles entérinant l’intégration de la France à l’édifice européen.

Contrairement au droit international, qui est un droit de la coopération entre États souverains, le droit de l’Union est en effet, depuis une quarantaine d’années, un droit de l’intégration des États-membres au sein d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples ». Il poursuit cet objectif à travers des mécanismes juridiques inspirés du droit constitutionnel des États fédéraux – notamment la primauté et l’effet direct.

Un instrument de prédilection de cette intégration est l’« État de droit ».

La notion européenne d’État de droit est extensive. Si extensive qu’elle peut devenir le cheval de Troie de tous ceux qui en veulent au droit de l’État, de tous ceux pour qui, consciemment ou inconsciemment, « l’État de droit » c’est le droit contre l’État et l’« État de droit européen » l’Europe contre les États-nations.

L’État de droit, justement, comment le définir ?

Le terme « État de droit » est inconnu du droit français jusqu’à une époque récente. Il est emprunté à l’allemand Rechtsstaat qui, historiquement, ne veut rien dire d’autre que la soumission du fonctionnement de l’État à des règles de droit. Il n’a pas de contenu programmatique, philosophique ou moral précis et n’implique ni la démocratie, ni les droits de l’homme. Mais l’expression s’est prodigieusement chargée de sens depuis une cinquantaine d’années.

S’il fallait lui donner un contenu contemporain raisonnable, compatible avec la tradition juridique française, quel serait-il ?

Ce serait une architecture étatique de type démocratique dont les composantes seraient les suivantes : 

  • La soumission de l’État à des normes hiérarchisées entre elles (idée de Kelsen, reprise par Carré de Malberg) ;
  • Le devoir de l’État de garantir la sûreté, par la force légitime comme par la justice pénale ;
  • Le principe représentatif (le pouvoir politique procède du suffrage universel) ;
  • Son obligation de respecter les droits et libertés, mais aussi de les faire respecter (je renvoie à Montesquieu qui définit la liberté comme « la tranquillité d’esprit du citoyen qui provient de son opinion que le gouvernement non seulement ne l’assujettit pas, mais fait en sorte qu’il ne puisse craindre d’un autre citoyen ») ;
  • Enfin, la séparation des pouvoirs, c’est-à-dire l’existence de trois pouvoirs spécialisés (législatif, exécutif et juridictionnel) interagissant pour se tempérer mutuellement, mais aussi pour coopérer et sans qu’aucun ne puisse mettre les autres sous sa coupe.

Cependant, en France comme en Europe, le terme d’État de droit est devenu un mot valise, une notion polymorphe qui a une signification tantôt technique, tantôt idéologique, voire transcendantale.

Dans cette dernière acception, il devient une religion dont les droits individuels sont les dieux, l’État-Nation le diable et le juge le grand officiant.

Cette conception atteint son paroxysme dans les enceintes européennes.

Ce qui se concocte, dans des cercles comme la Commission de Venise, c’est un droit « sans le peuple et contre l’État », ainsi que le résume Pierre-Henri Tavoillot (Figaro du 19 septembre 2022).

L’État de droit est mentionné, mais non défini par les traités européens.

L’article 2 du TUE le place dans les « valeurs » de l’Union : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ».

Comme le dit Anne-Marie Le Pourhiet (ici présente) : « Nul n’avait initialement prêté attention à ce catalogue bisounours et le Conseil constitutionnel français, lorsqu’il a examiné le projet de traité, n’a pas émis de réserves… ».

En particulier, l’article 2 du TUE ne précise pas ce qu’il faut entendre par État de droit. On pouvait penser qu’on faisait ainsi référence, à titre recognitif, aux acquis de la société démocratique tels que le suffrage universel ou les libertés publiques au sens classique. C’est la lecture qu’en a fait le Conseil constitutionnel tant pour le traité établissant une Constitution pour l’Europe que pour le traité de Lisbonne.

Mais les organes de l’Union mettent dans cette notion d’État de droit bien plus que cela, pour ne pas dire à peu près tout ce qu’ils veulent : un standard d’organisation judiciaire, l’évolution des mœurs, les prérogatives des minorités etc.

C’est ce qui leur permet de condamner la Pologne et la Hongrie pour les politiques suivies par ces pays en matière migratoire ou sociétale.

C’est ce qui les conduit aussi à regarder avec suspicion la laïcité la française, beaucoup considérant, à Bruxelles et à Luxembourg, qu’elle est un obstacle à l’édification d’une « société ouverte et multiculturelle ».

Si les « règles et principes » (y compris le principe de primauté du droit de l’Union) s’imposent à tous dans les domaines régis par le droit de l’Union, la vérification du respect de « valeurs » – non circonscrites par les traités – devrait se faire avec tact et retenue, dans le souci de ménager les cultures, les Histoires et les sensibilités nationales. Sans violenter l’imaginaire des peuples.

En tout état de cause, l’article 2 du TUE, de caractère déclaratoire, ne saurait fonder une compétence propre de l’Union. Il ne saurait habiliter les organes de l’Union à connaître de toute chose au nom de l’État de droit, un État de droit – qui plus est – dont ils définiraient les contours à leur convenance.

Cet État de droit sublimé, qu’irradierait en quelque sorte le projet européen et que contiendraient en devenir ces valeurs ineffables que mentionne l’article 2 du TUE, cet État de droit européen philosophique bien plus que juridique, largue les amarres avec le droit tout court. Et s’affranchit à l’occasion du droit positif issu des traités.

En témoignent les thématiques dont délibère aujourd’hui le Parlement européen.

Un eurodéputé français (François-Xavier Bellamy pour ne pas le nommer) a demandé à son équipe parlementaire de classer les délibérations, au cours de la première année de l’actuelle mandature, selon leur rapport avec les attributions de l’Union. Résultat : seule la moitié de ces délibérations sont en lien avec les compétences de l’Union ; pour environ un tiers, les sujets donnant lieu à débat n’ont qu’un rapport lointain avec ces compétences ; le reste – soit près d’une délibération sur cinq – leur est totalement étranger.

Encore faut-il noter que les votes débordant les attributions de l’Union ne portent pas sur n’importe quel domaine. De fait, c’est tout un agenda « politiquement correct » que l’Union sort de son chapeau en opposant l’« État de droit européen » aux États membres rétifs à se plier à sa doxa. Une doxa inspirée par des ONG particulièrement actives, dans les couloirs de l’Union, en matière d’environnement, de lutte contre la corruption, de parité et de défense des minorités etc.

Les responsables de l’Union européenne adhèrent-ils intimement à ce credo ou s’y plient-ils par conformisme à l’air du temps ? Je serais tenté de pencher pour la seconde solution en voyant une Ursula von der Leyen, patricienne « hübsche » (nous dirions « bcbg ») de haute lignée, mère de sept enfants et démocrate chrétienne bon teint, se déclarer « horrifiée » par une loi hongroise disposant que « la pornographie et les contenus qui représentent la sexualité ou promeuvent la déviation de l’identité de genre, le changement de sexe et l’homosexualité ne doivent pas être accessibles aux moins de 18 ans ».

Conformisme qui n’est cependant pas de pure façade puisque, en juillet dernier, on a vu la Commission, depuis suivie par quinze États-membres (dont la France), saisir la CJUE d’un recours contre la Hongrie : celle-ci aurait méconnu les valeurs de l’Union parce que, en édictant des règles de prudence régissant les contenus adressés aux mineurs, elle aurait adopté une mesure discriminatoire à l’égard des personnes LGBT. La loi hongroise attaquée n’est pourtant pas si éloignée de la loi française de 1949 sur les publications destinées aux mineurs, dont l’article 2 prohibe les contenus pornographiques ou de nature à nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des enfants et des jeunes…. Allons-nous, nous aussi, être poursuivis des foudres de la Commission ?

Ainsi, en pleine guerre d’Ukraine, de tensions économiques et sociales, d’alertes climatiques et sécuritaires, de désordres migratoires et géopolitiques, il n’y avait apparemment – pour défendre les valeurs de l’Union – aucun péril plus urgent à combattre que la loi hongroise de protection des mineurs…

Recours d’ailleurs surréaliste : attend-on de la CJUE qu’elle interdise à un État-membre de protéger sa jeunesse selon ses canons culturels et moraux nationaux ? A l’heure où, face à tant de périls communs, les peuples d’Europe devraient serrer les rangs et s’entre-respecter pour être plus solidaires, cette Europe des priorités dévoyées et des ingérences intempestives ne peut que diviser les Européens. La CJUE aura-t-elle la lucidité de le rappeler ? Voilà la question que j’aurais aimé poser à Jean-Claude Bonichot s’il avait pu être des nôtres ce soir.  

Il me paraît inadmissible que, sous couvert d’État de droit et de valeurs de l’Union, l’Union s’empare de la compétence de ses compétences contre la sensibilité nationale et les intérêts des peuples européens.

Il est vrai que, pour étendre son emprise, l’Union peut aussi s’appuyer sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Proclamée lors du conseil européen de Nice en 2000, cette Charte fait partie intégrante du droit de l’Union depuis le traité de Lisbonne, lequel lui confère la même valeur normative qu’aux traités.

Elle se présente comme un volumineux catalogue de droits et de principes.

Ces droits et principes vont des libertés publiques classiques à la bioéthique, en passant par la transparence administrative, la lutte contre les discriminations, la liberté de manifester publiquement ses croyances, l’autonomie de la personne, la défense de la planète etc.

Elle renvoie, outre aux traditions constitutionnelles des pays membres et aux traités, aux jurisprudences de la CJCE (devenue CJUE) et de la CEDH.

Même si, en principe, la Charte n’est opposable aux États-membres qu’en tant qu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, l’Union dispose avec elle d’un moyen de contrainte inépuisable à l’égard des États, avec, à la clé, la procédure de sanction organisée par l’article 7 du TUE.

La référence aux valeurs de l’Union, à l’État de droit et à la Charte conduit à mettre chaque État membre sous la surveillance constante de l’Union, laquelle n’est plus seulement, comme au siècle dernier, dépositaire des traditions de ses membres en matière de droits fondamentaux, mais créatrice originaire et gardienne de leur respect.  

Comme l’écrit Xavier Cauquil dans un ouvrage remarquable (La nécessité européenne, publié chez L’Harmattan) : « En raison de la profusion des droits répertoriés dans la Charte, et du fait des contraintes engendrées par cette référence morale multiforme, qui enserre ses membres dans un écheveau de promesses hasardeuses à tenir et où la défaillance est aisée, les États sont exposés à être pris en défaut par l’Union et donc à encourir une sanction ou, à tout le moins, une réprobation. Par la Charte, l’Union s’arroge la faculté de juger si tel ou tel membre dévie… »

Au nom de l’État de droit et par application de l’article 7 du TUE, l’Union exerce une triple contrainte sur les États membres : morale (en adressant des admonestations), politique (en suspendant des droits de vote) et économique (en suspendant le versement de fonds européens, comme avec la Pologne et la Hongrie).

Même en matière de sécurité et de défense, les excès de pouvoir commis par les organes de l’Union se multiplient, et toujours dans le sens d’une restriction des fonctions régaliennes.

En matière de sécurité et de défense, les organes de l’Union devraient s’interdire tout excès de pouvoir (ultra vires) puisque les traités (c’est-à-dire les peuples souverains) indiquent clairement que « La sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État-membre » (article 4, paragraphe 2, du TUE). 

Cela n’empêche pas la CJUE de se prononcer en la matière. Ainsi, en 2021, la CJUE juge que la directive de 2003 relative au temps de travail s’applique aux membres des forces armées. Du point de vue de l’Union, un militaire devrait donc être regardé, sauf exception, comme un travailleur ordinaire, ce qui contrevient à l’exigence française de disponibilité permanente de ses soldats.

Il est vrai que celle-ci avait été déjà malmenée par la décision de la CEDH Matelly de 2014, imposant à la France d’introduire le syndicalisme dans ses armées. 

Cette décision sur le temps de travail des militaires a suscité une émotion considérable en France, y compris chez les personnalités les plus europhiles. Le Président de la République lui-même a indiqué ne pas comprendre. Fait remarquable et inédit : devant le Conseil d’État, le gouvernement a plaidé contre l’arrêt de la CJUE.

Domaine non moins crucial pour notre sécurité collective : la conservation et l’utilisation des données de trafic et de localisation des communications électroniques, aux fins de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée ou de contre-espionnage. Dans ce domaine, l’arrêt de la CJUE du 8 avril 2014 « Digital Rights », suivi des arrêts Quadrature du Net et Privacy International du 6 octobre 2020, puis Spacenet AG du 20 septembre 2022, imposent des conditions restrictives incapacitantes pour la sécurité des États.

Selon la CJUE, seule une menace grave et actuelle pour la sécurité nationale permet aux législations nationales de prévoir une conservation généralisée de ces données. C’est nier l’importance des signaux faibles et celle des filets dérivants.

Autre illustration de cette ingérence, de la part de la Commission cette fois : en 2020, elle s’immisce dans une procédure législative nationale en tançant la France à propos du fameux article 24 de la proposition de loi « sécurité globale » dont l’objectif, ô combien légitime, était de punir la diffusion du visage ou d’autres éléments d’identification d’un policier ou d’un gendarme en opération « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité́ physique ou psychique ». La Commission s’émeut publiquement de cet article 24, estimant qu’il « menace la liberté de la presse ». Elle intervient là sans base légale, dans un rôle auto-conféré de directeur de conscience droits-de-l’hommiste…

Sur les politiques migratoires, les organes de l’Union ne se bornent pas à condamner les pays du groupe de Visegrad, la Grèce et (hier encore) l’Italie. Ainsi, la Commission a dénoncé comme contraire aux règles de l’Union, et plus particulièrement aux orientations du « Pacte européen sur la migration et l’asile », la loi danoise tendant à externaliser le traitement des demandes d’asile, loi largement votée par le Folketing à l’initiative du gouvernement social-démocrate de Mette Frederiksen. 

En entravant l’État régalien, l’Union porte atteinte, dans chaque État membre, à des garanties essentielles de son ordre constitutionnel telles que la souveraineté nationale, la défense du territoire ou la sauvegarde de l’ordre public et de la sécurité publique.

Elle met en panne l’Europe elle-même car comment sortir de conflits aussi inexpiables entre États et organes de l’Union ?

Attend-on des Danois, par exemple, qu’ils abrogent une loi qui, quoiqu’on en pense (j’ai personnellement des réserves sur son dispositif), est chez eux consensuelle ?

Attend-on des Polonais qu’ils dissolvent leur cour constitutionnelle ?

Comme personne ne mangera son chapeau, le blocage est sans remède.

Se manifeste à nouveau ce « fédéralisme clandestin » que pratiquait déjà il y a un demi-siècle la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), avec les fameux arrêts Handelsgesellschaft (1970) et Simmenthal (1978).

C’était alors au nom de la concurrence libre et non faussée dans un marché unifié. C’est désormais au travers du prisme des « valeurs de l’Union ».

L’idée sous-jacente est qu’il faut dépasser les nations, ces reliques barbares. Idée pourtant réfutée par cette double évidence que les nations sont les briques de l’Europe et que les peuples y restent viscéralement attachés.

Il en résulte une crise systémique. Celle-ci ne peut être dénouée que si, comme la Cour de Karlsruhe, les autorités nationales savent dire « pouce ».

Le Conseil constitutionnel n’a-t-il pas jugé il y a une quinzaine d’années que l’application d’un acte de droit européen dérivé devait être écartée si cet acte portait atteinte à un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ?

Mais les cours suprêmes françaises se sont refusées, à ce jour, à siffler la faute.

Ainsi, dans l’affaire de la conservation et de l’utilisation des données des communications électroniques à des fins pénales ou de renseignement, le Conseil d’État s’est interdit par avance d’opposer à la CJUE en matière de sécurité un veto analogue à celui émis par la Cour de Karlsruhe en mai 2020 en matière monétaire.

C’est même à une capitulation sans condition que procède son arrêt French Data Network du 21 avril 2021 : « Contrairement à ce que soutient le Premier ministre, il n’appartient pas au juge administratif de s’assurer du respect, par le droit dérivé de l’Union européenne ou par la Cour de justice elle-même, de la répartition des compétences entre l’Union européenne et les États membres ».

De même, s’agissant de la directive « temps de travail », le Conseil d’État a jugé le 17 décembre 2021 que le principe constitutionnel de « nécessaire libre disposition de la force armée » ne faisait pas globalement obstacle à l’application de cette directive aux militaires français (Assemblée, 17 décembre 2021).

Il n’est pas sans intérêt de « zoomer » sur cette emblématique affaire. Saisie par un garde-frontière slovène à propos d’un décompte d’heures supplémentaires, la CJUE lui avait donné raison et rejeté, le 15 juillet 2021, les conclusions de la France, de l’Espagne et de la Slovénie, selon lesquelles, en vertu des traités européens, le statut des militaires échappe intégralement au champ de la directive de 2003 sur l’aménagement du temps de travail.

Pour la CJUE, la directive de 2003 est applicable, sauf exception, aux militaires. Quelles exceptions ? Celles liées aux opérations du champ de bataille, aux entraînements opérationnels, aux missions des unités spéciales ou à des « contraintes insurmontables ». Inversement, seraient soumis aux dispositions de la directive les services liés à « l’administration, l’entretien, la réparation, la santé », ou au « maintien de l’ordre » et à « la poursuite des infractions ». Les services de soutien aux armées et la gendarmerie sont donc fortement impactés.

Née des réclamations d’un garde-frontière slovène, la revendication tendant à ce que les militaires bénéficient de la directive de 2003 aurait pu ne pas toucher la France tant elle est étrangère à la conception que nos militaires se font de leur engagement.

Mais tout corps comprend ses personnalités atypiques.

Un sous-officier de gendarmerie français a demandé à sa hiérarchie de plafonner la durée hebdomadaire de travail au maximum fixé par la directive de 2003. Mécontent de la réponse qui lui été apportée par le directeur de la gendarmerie nationale (selon lequel, à supposer la directive applicable, la gendarmerie satisfait déjà à celles de ses dispositions qu’invoque l’intéressé), notre gendarme l’a déférée au Conseil d’État.

Dans leurs observations en défense, les ministres de la défense et de l’intérieur demandaient au Conseil d’État de déclarer la directive de 2003 totalement inapplicable aux membres des forces armées.

Deux argumentations étaient a priori possibles pour étayer cette demande.

La première consistait à inviter le Conseil d’État à juger que, en étendant l’applicabilité d’un acte européen de droit dérivé (la directive de 2003) au-delà du domaine de compétence de l’Union (tel que délimité notamment par l’article 4 du TUE), la CJUE a méconnu la règle selon laquelle l’Union n’a pas « la compétence de ses compétences », celle-ci restant l’apanage des peuples souverains. C’est la position du Tribunal constitutionnel allemand.

Mais cette première argumentation, comme il a été dit ci-dessus, était vouée à l’échec en raison de la position de principe adoptée par le Conseil d’État dans l’affaire de la conservation et de l’utilisation des données des communications électroniques à des fins pénales ou de renseignement (French Data Network). Le Conseil d’État y a brûlé ses vaisseaux en s’interdisant par avance d’opposer à la CJUE, en matière de défense, un veto analogue à celui émis par la Cour de Karlsruhe en matière monétaire.

Une seconde argumentation aurait cependant pu suffire au Conseil d’État pour écarter intégralement l’applicabilité aux militaires de la directive de 2003. Le Conseil constitutionnel a estimé que le droit européen dérivé ne peut recevoir application s’il est contraire à une règle ou à un principe « inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » (27 juillet 2006).

Or, s’agissant du temps de travail des militaires, un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France (c’est-à-dire un principe constitutionnel sans équivalent en droit de l’Union) s’oppose à l’applicabilité de la directive de 2003 : c’est celui de la « nécessaire libre disposition de la force armée ». Le Conseil constitutionnel a consacré ce principe dans des décisions du 28 novembre 2014 et du 27 février 2015.

Pourtant, par sa décision d’assemblée du 17 décembre 2021, le Conseil d’État a considéré que la directive de 2003 était applicable, sauf exception, aux militaires. Il a grosso modo retenu les mêmes exceptions que la CJUE et estimé que, moyennant ces exceptions, le principe de nécessaire libre disposition de la force armée était sauf.

Si les prétentions du gendarme ont été rejetées, c’est parce que, en l’espèce, les règles nationales en vigueur sur le temps de travail des gendarmes (compte tenu notamment de la nature particulière des astreintes à domicile pratiquées dans la gendarmerie et des conditions de logement des gendarmes) satisfont d’ores et déjà aux objectifs de la directive invoquées par le requérant.

Mais la solution d’espèce importe évidemment beaucoup moins que la portée générale de l’arrêt : la directive de 2003 est, sauf exception, applicable aux militaires, ce qui porte atteinte à des fonctions de souveraineté pourtant protégées par le TUE (art 4) et ouvre la voie à diverses contestations.

La solution adoptée par le Conseil d’État dans cette affaire de temps de travail des militaires s’inscrit dans une logique que je qualifierai de « conciliation à tout prix » avec la Cour de justice.

Pourquoi ce conformisme ? Est-ce par crainte d’ébranler le fragile et complexe édifice du droit européen ? Pour ne pas être rangé dans le camp des cours nationales frondeuses conspirant, à l’instar du tribunal constitutionnel polonais, contre l’État de droit ?

Ces explications ne sont que partielles.

Le suivisme a une raison plus profonde : le juge national trouve dans le droit européen le moyen historique de s’extraire de l’État national et de dominer celui-ci.

La primauté du droit de l’Union permet au pouvoir juridictionnel de ne plus être seulement un pouvoir jouant sa partie dans le jeu démocratique national de la séparation des pouvoirs.

Elle lui permet de se poser et de se penser, du haut du surplomb européen, comme un pouvoir au-dessus des autres pouvoirs, une instance supra-démocratique.

Et cela cause un grand trouble pour des esprits qui, comme le mien, sommes encore attachés à la notion de souveraineté, dans ses dimensions tant nationale que populaire.

Dans une démocratie, l’État agit sous la supervision du peuple. Il importe donc au peuple que l’État soit le plus indépendant possible d’autres puissances, intérieures ou extérieures.

Pas de souveraineté populaire sans État souverain. Comme disait Jaurès, la souveraineté nationale, l’État souverain sont le bien ultime du peuple.

Cette souveraineté de l’État implique qu’il n’abdique ni le pouvoir de fixer la norme et de l’abroger, ni celui d’édicter des règles d’exception, ni ses attributions régaliennes essentielles, notamment le pouvoir de contrainte et le « privilège du préalable » du droit administratif et moins encore la compétence de sa compétence et le pouvoir constituant.

Le peuple cesse d’être le Souverain si la souveraineté de l’État de désagrège, c’est-à-dire si l’État transfère une part substantielle de sa puissance à des entités tierces, qu’elles soient nationales (juridictions, autorités administratives indépendantes, experts, organismes professionnels), supranationales ou transnationales.

*

L’emploi obsessionnel de la notion d’État de droit par l’Union prolonge une carence structurelle de l’Europe telle que nous l’avons construite : sa répugnance à assurer la protection des peuples et à assumer, pour ce faire, les moyens de la puissance.

En évoquant cette répugnance de l’Union européenne pour la puissance, je crois que nous ne nous écartons pas vraiment de notre sujet du jour, qui est la fixation de l’Union sur l’État de droit.

Deux exemples pour illustrer ce que je veux dire par là.

Premier exemple : les velléités de l’agence Frontex d’assurer sa mission de garde-frontière, en ne se bornant plus au sauvetage en mer, ont fait se crisper la commissaire aux affaires intérieures, la suédoise social-démocrate Ylva Johanson, et se rebiffer les eurodéputés bien-pensants.

La dotation de Frontex a donc été réduite et les navires de Frontex invités à embarquer des observateurs d’ONG.

Il y a encore deux ans, Frontex se demandait si, quand et comment elle pouvait refouler. Il s’est découvert qu’elle ne le peut pas du tout puisque l’Office européen de lutte contre les fraudes (Olaf), dont on se demande en quoi une telle investigation relevait de ses compétences, a reproché au directeur de Frontex alors en fonction, le Français Fabrice Leggeri, d’avoir cautionné plusieurs refoulements (pushbacks), pratique condamnée par la jurisprudence de la CEDH et donc, selon l’Olaf, contraire au droit de l’Union.

Fabrice Leggeri a donc démissionné.

Où est l’Europe puissance chère au Chef de l’État dans cette affaire ? Et qu’en a dit la présidence française ? Silence tonitruant…

Second exemple : la Commission et le Parlement européens se sont refusés à aider financièrement la Pologne à protéger sa frontière avec le Belarus (qui est pourtant une frontière extérieure de l’Union) pour le motif ainsi exposé par Ursula von der Leyen lors du sommet européen d’octobre 2021 consacré à la pression migratoire : « Il y a une position commune de longue date de la Commission et du Parlement européen sur le fait qu’il n’y aurait pas de financement de barbelés et de murs ».

Congénitalement, juges, commissaires et, pour beaucoup d’entre eux, parlementaires européens refusent l’Europe puissance autant qu’ils tiennent pour suspectes les souverainetés nationales.

Cette allergie au régalien est dans l’ADN d’une Union qui s’est fondée contre l’idée même de puissance.

L’Union bride les souverainetés nationales, sans exprimer pour autant une « volonté souveraine européenne » (notion moins illusoire et moins trompeuse que celle de « souveraineté européenne »).

En devenant toujours plus une « nomocratie », en se bureaucratisant toujours davantage, en se laissant instrumentaliser par les activistes, en s’éloignant des peuples et en se fâchant avec les États, l’Union bride les souverainetés nationales, sans avoir pour autant ni la capacité, ni l’intention d’exercer, à son niveau, une volonté souveraine. Et même en se l’interdisant.

Ce manque de réflexe de souveraineté, nous le voyons aussi se manifester avec les diverses directives « reporting » qui tirent une balle dans le pied des entreprises européennes en multipliant les exigences en toutes matières pour le plus grand bonheur des ONG et le plus grand profit de la concurrence extra européenne.

C’est ainsi que la directive « durabilité » du 14 décembre 2022 impose au rapport de gestion de comporter une multitude d’attestations : bilan carbone, suivi détaillé des émissions de gaz à effet de serre, indicateurs précis de diversité et d’inclusion, données sur la protection des populations autochtones.

Un peu plus tôt, le 14 septembre 2022, la Commission avait déposé une proposition de directive pour interdire la circulation sur le marché européen des produits issus du travail forcé. Les entreprises ne doivent jamais avoir recours à ces produits, non seulement en leur sein et au sein de leurs filiales, ce qui est normal, mais encore dans le périmètre de leurs partenaires, fournisseurs et sous-traitants, ce qui est irréaliste.

Il est en effet impossible aux petites et moyennes entreprises, et très difficile aux grandes, d’identifier l’origine des produits qu’elles importent des quatre coins du monde.

Inutile d’ajouter que cette proposition de directive prévoit des mécanismes de mise en cause intrusifs (recours aux « lanceurs d’alerte ») et de lourdes sanctions (allant jusqu’à l’incarcération des dirigeants).

Obligation éthique après obligation éthique, l’entreprise européenne se voit progressivement chargée d’une mission d’intérêt général planétaire. Parallèlement, le coût de la « compliance » et de la « due diligence » (conformité et justifications), ainsi que l’insécurité juridique générée par ces dispositifs, peuvent être exorbitants.

Bien entendu, ce coût et cette insécurité pèsent sur les entreprises européennes et non sur leurs concurrentes

Que faire ?

Qu’il s’agisse de sauvegarder les souverainetés nationales ou de donner un commencement de consistance à une « volonté souveraine européenne » partagée entre nations volontaires, il y a tant de pain sur la planche que le mieux est sans doute de changer de boulangerie.

Je ne vois d’autre issue, si vertigineuse soit-elle, que dans la renégociation des traités.

La renégociation des traités européens n’est pas une perspective illusoire. Nous devons y penser et la favoriser lorsque s’en présentera l’occasion.

Mais que faire en attendant ? 

Voici quelques orientations, par ordre croissant d’audace :

  • Privilégions la voie intergouvernementale toutes les fois que c’est possible, car c’est par elle, plutôt que par la voie institutionnelle, que l’Europe puissance a le plus de chances de se construire ;
  • S’agissant du droit européen dérivé en formation (règlements et directives), invitons le Parlement français, auquel les traités confient cette fonction, à appliquer beaucoup plus sérieusement qu’aujourd’hui le contrôle de subsidiarité ;
  • Ne négocions plus à l’aveuglette les actes de droit dérivé. Dans le passé la position de la France a trop souvent été inspirée, plutôt que par la défense réaliste de ses intérêts, par le vain souci de paraître la plus zélée dans la promotion de droits et de principes ;
  • Demandons la renégociation des directives et règlements qui, selon nous, doivent l’être ;
  • Osons suspendre l’application des actes du droit de l’Union contraires à nos intérêts nationaux supérieurs ou pris en dehors du domaine de compétences de l’Union. C’est une question de volonté politique. Ne nous sommes-nous pas soustraits pendant des années à nos obligations européennes dans une affaire beaucoup moins cruciale pour nos intérêts vitaux : le contrôle technique des deux roues (directive 2014/45/UE du 3 avril 2014) ?
  • Habilitons le Parlement, selon une procédure à la majorité qualifiée organisée par la Constitution, à « passer outre » aux jurisprudences incapacitantes des cours suprêmes supranationales comme à celles du Conseil constitutionnel.

L’Europe des coopérations concrètes entre nations souveraines et du substrat civilisationnel commun doit remplacer l’Europe des institutions hors sol et des principes désincarnés.

Marie-Françoise Bechtel

Merci infiniment, Jean-Éric, même si on ne peut pas dire que vous ayez distillé un optimisme hors du commun. Du moins nous avez-vous mis devant des réalités absolument incontournables.

Le système tel que vous l’avez déplié, ce système de primauté du juge européen, mais aussi de primauté du juge national en tant qu’il prend le relais, appelle, me semble-t-il, deux questions :

Quelle est l’architecture institutionnelle qui permet cela ?

Nous avons aujourd’hui une Commission, je le disais en introduisant ce séminaire, qui est un appareil d’État sans État et ne cesse de s’attribuer des prérogatives, notamment par le fait de sa présidente, qui s’arroge au jour le jour des pouvoirs que nul ne lui a conféré. Dans les négociations internationales, notamment, elle prend un certain nombre de décisions sans que personne ne contrôle sa compétence. Se pose donc la question de l’architecture institutionnelle qui pourrait être rectifiée si un jour nous pouvions aboutir à une Commission qui serait mise à jour de ses prérogatives – dont je rappelle qu’elles sont très largement incontrôlées, y compris dans ses rapports avec les lobbies – et si nous pouvions peut-être aussi avoir un Parlement qui soit un véritable organe de contrôle. Quelle architecture institutionnelle revue et corrigée permettrait cela ? C’est la question de base.

Quant à ce qui, dans ce système en pleine auto alimentation, permet au juge européen de prendre une telle place, c’est au fond un certain vide, disait Jean-Éric Schoettl. Ce qui est sûr est que, en ajoutant la prise de pouvoir permanente par la Commission et la prise de contrôle en plein essor qui est le fait du juge nous sommes dans une fuite en avant vers un inconnu qui répugne à la compétence de la compétence des États telle qu’elle aurait dû être préservée (comme les Constitutions et les Traités successifs l’avaient théoriquement prévu).

Alors pourquoi y a-t-il un tel suivisme en matière de déploiement des « droits à », des « droits de », des droits de différenciation, des droits des groupes, des droits des catégories, des droits de l’individu et jamais des droits des États ? Quelle est l’opinion dominante en cette matière ? Qu’est-ce qui explique ce consentement ? Je n’ai pas la réponse à la question.

Jean-Éric Schoettl a bien montré que l’assomption du juge européen a sa contrepartie, et même son pendant, dans l’assomption du juge interne. Cela signifie-t-il que les démocraties sont désarmées par rapport au projet qu’elles pourraient fournir aux individus ? Y a-t-il jamais eu de démocratie qui n’eût pas de projet ? Ne sommes-nous pas arrivés à une démocratie qui tourne sur elle-même, pour elle-même, en se donnant pour modèle au monde entier, nous le voyons tous les jours, sans pour autant avoir un projet ? Ce que notre République appelait la citoyenneté c’est-à-dire le ciment permettant la réalisation d’un projet commun, n’est-ce pas précisément ce qui manque ? Et quelle est la racine de tout cela ? Doit-on voir dans les excès de la consommation, très bien analysés par des sociologues américains – je pense notamment à Christopher Lasch –, ce qui conduit le citoyen à se vautrer dans les « droits de » et dans un individualisme narcissique sans fin ? Car même si la Commission et les cours de justice violentent un peu les opinions et violentent clairement les peuples, il faut bien qu’il y ait au moins dans une part de la classe moyenne un consensus assez large pour que ces valeurs supposées tiennent ainsi le haut du pavé.

Dernière chose, j’étais prête à critiquer votre notion d’État de droit que je ne partage pas. Je crois qu’il n’y a pas de notion française de l’État de droit. Il y a un jeu de mot. Tous les dictionnaires définissent l’état de droit (avec un « é » minuscule) comme une situation juridique dans laquelle les droits de l’individu, quel que soit le régime, plutôt démocratique en principe, sont garantis. Mais l’État de droit (avec un « é » majuscule), l’État de droit de Kelsen, celui de la Constitution autrichienne qui en fut la première traduction, puis celui que l’on a retrouvé dans toutes les constitutions des États sortant de régimes totalitaires ou autoritaires (Espagne, Italie, Grèce, Allemagne), ont en commun que leur Constitution commence par un affichage de droits fondamentaux. Il me semble important de souligner que l’introduction puis le triomphe de l’« État de droit » est passée par cette phase d’affirmation des « droits fondamentaux ». Cela signifie en clair que le Parlement est privé de la définition de ces droits fondamentaux, ce qui est radicalement contraire aux traditions anglaise et française dans lesquelles au contraire le peuple souverain remet au législateur le soin de définir ce que l’on appelait les libertés publiques. Le passage entre les deux s’est fait au moment où en France on a commencé à parler de droits fondamentaux. Ce n’était pas le cas avant les années 1990.

Mais peut-être Anne-Marie Le Pourhiet nous éclairera-t-elle sur ce point davantage que je ne viens de le faire.

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Le cahier imprimé du séminaire “Europe, État de droit et souveraineté nationale” est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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